Extrait du livre : Danser sur une jambe. Une seule.
Abdelmalek Cherkaoui
L´école Franco musulmane était un bâtiment tout ce qu´il y a de plus difforme. A deux pas de Sidi Saidi, le saint de la ville de Tétouan. Elle se détachait fortement, dans une ruelle plutôt classique et calme, par sa haute muraille en briques rouge délavé, le bruit de sa cloche sans aucune harmonie et les cris permanents des enfants qui semblaient toujours en récréation. Á l´intérieur se trouvaient trois cours, dont deux cimentées et une en terre battue. A l´une des extrémités se trouvait la maison du gardien, Ayachi, l´homme le plus important, celui qui secondait le directeur, M. Dufour, et qui, paradoxalement, dépassait en importance maîtres et surveillants.
Au milieu de la cour centrale trônait le bureau du directeur. Pour y accéder, on devait monter des escaliers peints à la chaux, attendre sur le palier avant d´entrer dans le bureau du secrétariat. On peut imaginer l´angoisse d´un élève qui était convoqué chez le directeur et qui devait souvent attendre quelques minutes , en plein soleil, à la vue des élèves qui jouaient dans la cour.
Très souvent, le directeur inspectait la marche de l´école, debout sur ce palier, son chapeau blanc à la main. On devait souvent passer en dessous pour aller aux toilettes de la cour centrale où ne pouvaient accéder que deux élèves à la fois. Il arrivait que M. Dufour interpelle un élève à la sortie pour renifler ses mains et sa bouche et s´assurer qu´elles ne portaient aucune odeur de cigarette.
Les salles de classe étaient dispersées tout autour des trois cours. Il y avait les classes des grands et les classes des petits. On ná jamais su quel était le vrai critère de séparation entre les grands et les petits.
Généralement, les classes n´étaient pas chauffées, même pendant l´hiver glacial de Tétouan. Alors, les élèves s´entassaient dans une moitié de la classe et le maître se plaçait le plus possible des élèves pour profiter de la chaleur qu´ils dégageaient. Beaucoup d´élèves portaient des djellabas de grosse laine , trempées par la rosée du matin. Il émanait des classes une odeur d´étable, une chaleur moite et un air de somnolence.
Quelques classes étaient carrelées avec des fenêtres très hautes. Une d´entre elles était très prisée par les élèves. On pouvait en effet, à un moment où le maître avait le dos tourné, sauter directement par la fenêtre et se retrouver dans la rue.
L´école de Bab Saida, c´est ainsi qu´on appelait cette école à Tétouan, ne se comparait en rien aux autres écoles de la ville. Elle avait ses propres coutumes, son rythme particulier, son organisation qui la rendait unique dans la région espagnole.
En premier lieu, c´était la seule école où on pratiquait comme sport le base-ball américain. Je n´ai jamais compris l´origine de cette extravagance. On disait qu´un de nos instituteurs imposa ce sport après un voyage touristique en Amérique. Cela faisait si drôle de pratiquer du base-ball dans une ville aussi traditionnelle et conservatrice que Tétouan. Et, de ce fait, on prenait d´énormes libertés avec les règles de ce sport et on le pratiquait parfois de bien curieuse manière.
Avec l´affaire du livre d´histoire, l ambiance pesante, les clivages se firent plus visibles et les antagonismes politiques devinrent plus criards. Les petits déjeuners en classe, particulièrement avec notre maître, Fquih Sellam, prirent tout à coup la tournure de réunions politiques. De temps en temps, le maître d´arabe, Fquih Lyetefti, s´associait à nos discussions pour nous expliquer le sens politique de telle ou telle nouvelle provenant de la zone sud du pays où le parti de l´indépendance était déjà en ébullition.
Fquih Lyetefti était un rifain haut en couleur, extraordinaire dans ses comportements et dans ses cours d´arabe. Il était considéré comme un arabisant hors pair. Il était aussi un musulman en profondeur. Il était le premier à Tétouan à avoir une voiture de marque Vauxhall, avec laquelle il causa quelques accidents dont il sortit toujours indemne. Il fit plus tard une fulgurante carrière politique qui le mènera à un des parlements << sur mesure>> qu´a connu le pays.